La page des tutos
Quentin Tarantino : Pulp fiction.
Brian de Palma : Phantom of the Paradise , carry au bal du diable de Stephen king avec Sissi Spacek et John Travolta.
Stanley Kubrick : Shining, full métal Jacket, 2001 l’Odyssée de l’espace.
John Landis : Thriller.
Wes Craven : Les Griffes de la nuit, Scream.
John Carpenter : Christine, Halloween avec Jamie Lee Curtis qui joue aussi dans : Un poisson nommé Wanda, True Lies et freaky friday.
James Cameron : Terminator, Titanic.
Ridley Scott : Alien
Hitchcock : Psychose, Fenêtre sur cour ; Les oiseaux ; La mort aux trousses. Spielberg : Duel, Il faut sauver le soldat Ryan et ET.
Robert Zemeckis : Forrest Gump, Retour vers le Futur, Roger Rabbit
Georges Lucas : Star Wars.
Francis Ford Coppola : Le parrain.
Terry Gilliam : Brazil, Les aventures du baron de Münchhausen.
Tim Burton : Charlie et la chocolaterie ; Big fish.
Sergio Leone : Le bon la brute et le truand.
Vladimir Cosma : Musiques de film.
Étienne Chatillez : La vie est un long fleuve tranquille ; Tanguy.
Francis Veber : L’emmerdeur ; La chèvre ; Les compères ; Les fugitifs ; Le dîner de cons.
Jean-Marie Poiré : Le père Noël est une ordure ; Les visiteurs.
Patrice Leconte : Les bronzés.
Gérard Oury : La folie des grandeurs ; L’As des As ; Le corniaud ; La grande vadrouille ; Rabbi Jacob.
Charlie Chaplin : Les lumières de la ville ; Les temps modernes.
Buster Keaton : Le mécano de la générale.
Danny Boyle : Petit meurtre entre amis.
Les frères Cohen : Fargo ; Burn after reading avec Brad Pitt et George Clooney ; Brad Pitt qui joue aussi dans le Mexicain mexicain avec Julia Roberts.
David Fincher : The game avec Michael Douglas et Sean Penn.
David Cronenberg : La mouche avec Jeff Goldblum
Kathryn Bigelow : Point Break avec Patrick Swayze et Keanu Reeves.
Martin Scorsese : Shutter Island avec Leonardo DiCaprio.
David Lynch : Mulholland drive.
Jean-Pierre Jeunet : Delicatessen ; La Cité des enfants perdus.
Woody Allen : La rose pourpre du Caire.
Spike Lee : Malcolm x avec Denzel Washington.
Sidney Pollack : Out of Africa ; Tootsie.
Alan Parker : Midnight express ; Mississippi burning ; The commitments Roberto Benigni : La vie est belle, mais vous savez ce que j’en pense…
Et je termine avec les 5 derniers : Very Bad Trip ; The full Monty ; Little Miss Sunshine ; Starbucks ; Billy Elliot ; et je rajoute tous les films avec Jennifer Aniston, et j’enlève tous les films avec Ben Stiller, sauf si vous aimez bien Ben Stiller.
Sainte-Beuve
Aimer Molière, par Sainte-Beuve (1863), texte extrait des Nouveaux Lundis, ou Mardis, je ne sais plus. Tout ce que je puis dire, c’est que je l’ai lu pour la première fois un mercredi.
Aimer Molière, j’entends l’aimer sincèrement et de tout son cœur, c’est, voyez-vous, avoir une garantie en soi, contre bien des défauts, bien des travers et bien des vices de l’esprit. C’est ne pas aimer, d’abord, tout ce qui est incompatible avec Molière, tout ce qui lui était contraire en son temps, ce qui lui eût été insupportable du nôtre.
Aimer Molière, c’est être guéri à jamais de la basse et infâme hypocrisie, du fanatisme de l’intolérance et de la dureté, de ce qui fait anathématiser et maudire. C’est apporter un correctif à l’admiration pour ceux qui triomphent, ne fût-ce qu’en paroles, de leur ennemi mort ou mourant ; de ceux qui usurpent je ne sais quel langage, et se supposent, le tonnerre en main, en lieu et place du Très-très Haut. Gens éloquents et sublimes, vous l’êtes beaucoup trop pour moi.
Aimer Molière, c’est être assuré de ne pas aller donner dans l’admiration béate et sans limites pour une humanité qui s’idolâtre et qui oublie, trop souvent, qu’elle n’est qu’une infime partie de l’univers. Humaine et chétive nature qui se croit le centre de tout. C’est ne pas la mépriser trop pourtant, cette humanité dont on rit, dont on est, et dans laquelle on se replonge chaque fois avec bonheur, par une hilarité bienfaisante.
Aimer et chérir Molière, c’est être antipathique à toute manière dans le langage et dans l’expression, mais aimer Molière, c’est surtout, et par-dessus tout, savoir prendre le temps. *C’est s’attarder aux grâces mignardes, et ne pas hésiter à s’amuser des finesses recherchées, des coups de pinceau léchés, du marivaudage en tous genres, du style miroitant et artificiel, car aimer Molière, c’est n’être disposé à aimer ni le faux bel esprit, ni la science pédante. C’est savoir reconnaître à première vue nos Trissotins et nos Tartufes jusque sous leurs airs galants et rajeunis. C’est ne pas se laisser prendre aujourd’hui plus qu’autrefois à l’éternelle Philaminte, cette précieuse de tous les temps, dont la forme seule change, et dont le plumage se renouvelle sans cesse.
Déridons-nous avec Molière. On ne s’en lasse pas.
*Sainte-Beuve, paix à son âme, avait écrit : Aimer et chérir Molière, c’est ne pas s’amuser et s’attarder aux grâces mignardes, aux finesses cherchées, aux coups de pinceau léchés, au marivaudage en aucun genre, au style miroitant et artificiel. Vous avouerez que c’est pour le moins étonnant… Pour le reste, je souscris à 100%.
Pastiches et parodies
A la manière de Buffon
Jetons les yeux sur ce que la nature a créé de plus faible, de plus chétif, sur cette tremblante. Créature pour laquelle un regard de femme est un monde, un baiser le paradis, et qui ne paraît avoir été créée que pour animer la solitude des jardins et peupler les salles de cinéma. L’Amoureux est, de tous les bipèdes vivipares, celui qui a le moins de ressource et d’instinct, le moins armé. On peut lui mettre un collier, l’enchaîner, le museler, le conduire partout où l’on veut, sans qu’il ose donner le moindre signe de colère, ou même de mécontentement. Naturellement paisible et timide, il suffit de le bien traiter pour lui communiquer les sentiments doux et même délicats de l’attachement fidèle, de l’obéissance et du dévouement sans réserve. Il est affectueux pour sa maîtresse, et même caressant, surtout dans le premier âge. Ces animaux si utiles et même si nécessaires dans le pays où ils habitent, ne coûtent ni entretien ni aliment. Ils se nourrissent exclusivement d’espoir et d’eau fraîche. Ils prennent en une heure tout ce qu’il leur faut pour en vivre vingt-quatre et pour ruminer pendant toute la nuit.
La plus noble conquête que la femme ait jamais faite est celle de ce brillant animal qui partage avec elle les bénéfices de la nuit et les plaisirs de la journée. Le Gigolo est peut-être, de tous les bipèdes, le mieux fait et le plus élégamment vêtu. Il a la figure et la grâce de l’Amant, la légèreté du Danseur pourtant, et quoiqu’on l’ait souvent comparé à ces deux animaux, il n’est la copie ni de l’un ni de l’autre, et serait plutôt leur modèle. Son pelage, qui varie chaque semaine, est fait d’étoffe anglaise, et si avantageusement cintré qu’il dessine jusqu’aux moindres particularités de ses formes, en épousant étroitement les parties plus ou moins charnues et plus ou moins arrondies.
La perfection du Gigolo dépend des qualités extérieures, la grandeur de la taille, l’harmonie des proportions, la vigueur physique, plutôt que de l’intelligence, qui peut être nulle, ou que du sentiment, qui ne saurait que lui nuire. La tête doit être sèche et menue, la bouche rouge et bien dessinée, les paupières cernées de bistre, le nez un peu arqué, la cheville fine, le jarret solide, pour les longues soirées de danse, et le nerf bien détaché.
Quoique ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers, que l’âge augmente encore et que l’éducation ne fait que marquer. Ils prennent quelquefois des habitudes de société, mais jamais des mœurs. Ils n’ont que l’apparence de l’attachement on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques. Soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour approcher de leur maîtresse et recevoir d’elle des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le profit qu’ils en tirent.
La Petite Poule ressemble plus à l’être humain par le corps et par les membres que par l’usage qu’elle en fait ; en l’observant avec attention, on s’aperçoit aisément que ses mouvements sont brusques, intermittents, précipités, et que pour les comparer à ceux de l’homme, il faudrait leur supposer une autre échelle, ou plutôt un modèle différent : les actions de la Petite Poule nous paraissent inconséquentes, fantasques, extravagantes, parce que nous nous trompons d’échelle en les rapportant à nous, et que l’unité qui doit leur servir de mesure est très différente de la nôtre. Comme sa nature est vive, son tempérament chaud, son naturel pétulant, qu’aucune de ses affections n’a été mitigée par l’éducation, toutes ses habitudes sont excessives, et ressemblent beaucoup plus aux mouvements d’une jeune guenon qu’aux actions d’un homme, ou d’un autre animal à sang froid. C’est pour la même raison que nous la trouvons indocile, et qu’elle reçoit difficilement les habitudes qu’on voudrait lui transmettre. Elle est quelquefois sensible aux caresses, mais bien davantage aux cadeaux ; on peut la tenir en captivité, mais non pas en domesticité : on la dompte plutôt qu’on ne l’apprivoise ; jamais elle ne perd en entier son caractère capricieux, et il faut beaucoup de soins pour la dresser. Ne pas confondre la Petite Poule avec la Petite Oie Blanche, espèce aujourd’hui perdue, non plus qu’avec le Petit Chameau, qui lui ressemble à maints égards.
Si l’on fait attention à la faiblesse de ce petit animal, si l’on considère en même temps que, dépourvu de toute défense, il ne peut même pas trouver son salut dans la fuite, et qu’il a pour ennemis tous les policiers, qui semblent la rechercher de préférence et comme par goût, on comprend malaisément qu’il ait pullulé au point que l’on en rencontre des troupeaux entiers sur nos boulevards. Il paraît donc qu’il ne saurait subsister par lui-même, et que ce n’est que par le secours et par les soins des hommes que cette espèce a duré, dure, et pourra durer encore.
Timide par nature, familière par nécessité, la peur ou le besoin font tous ses mouvements. La Petite Grue ne sort de sa tanière que pour chercher à vivre. Elle ne s’en écarte guère, y rentre à la première occasion, avec la première proie rencontrée. Elle s’apprivoise jusqu’à un certain point, mais sans s’attacher. On l’attire, on la leurre aisément par des appâts ; elle se laisse enlever sans se défendre, sans résister, et sans marquer sa douleur (ni son plaisir) par le moindre cri.
Ce volatile, si chétif en lui-même, si dépourvu de sentiment, est pour l’homme l’auxiliaire le plus précieux, celui dont l’utilité est la plus immédiate et la plus étendue, car seul il peut subvenir à nos besoins de première nécessité.
Cet animal solitaire et sauvage demeure dans d’obscures tanières au rez-de-chaussée de nos maisons. Il est d’un naturel méchant, et ne s’apprivoise pas. Ses yeux brillent dans l’obscurité et l’on prétend qu’il voit mieux la nuit que le jour. Les anciens disent de la Concierge que sa vue est assez perçante pour pénétrer les corps opaques, tels que murs, portes, et enveloppes de lettres.
La Concierge a l’œil inquiet, le regard cruel et le cri semblable à celui d’un dogue en colère ; elle a même la voix plus forte et plus rauque que le chien irrité ; elle a la langue rude et très venimeuse, les dents fortes et pointues, les ongles aigus et durs. Elle vit de chasse et poursuit son gibier jusqu’au sixième étage. Elle guette les locataires et autres bestioles timides, et les prend à la gorge, après quoi elle abandonne sa victime pour en chercher une autre. Elle mord cruellement, et toujours avec d’autant plus d’acharnement, qu’on lui résiste moins ; car elle prend des précautions avec les animaux qui peuvent se défendre. La Concierge est de la taille et de la tournure d’un dogue de forte race, mais moins haute de jambes. Sa chair n’est point bonne à manger.
Voici l’un de ces animaux innocents, doux et tranquilles, qui ne semblent faits que pour le servage. La grosseur de son dos et la largeur de ses épaules indiquent assez qu’il est propre à tirer et à porter le joug, et il n’est pas jusqu’à la forme même de son caractère qui ne semble le rendre exclusivement propre au travail, et à vaincre la résistance constante et toujours nouvelle que sa femme ou la vie chère opposent à ses patients efforts.
Sa tête est parée, plutôt qu’armée, d’un bois vivant et qui, comme l’écorce des arbres, tous les ans se renouvelle. Dans certaines maisons, on a coutume de l’atteler par ces bois. La seule raison qu’on ait pu m’en donner est qu’on le conduit ainsi plus aisément. Docile autant que courageux, on peut lui apprendre à se tenir à table, à accompagner Madame à l’Opéra, et même à danser. Il semble alors écouter les instruments et suivre grossièrement la mesure ; mais pour lui donner cette espèce d’éducation, il faut le prendre jeune, et le contraindre pendant toute sa vie. Plus sensible au souvenir des bienfaits qu’à celui des outrages, le Mari ne se rebute pas par les mauvais traitements ; il les subit, il les oublie, ou ne s’en souvient que pour s’attacher davantage. Loin de s’irriter ou de fuir, il lèche cette main qui vient de lui donner des cornes.
Chez les peuples anciens, c’était un crime, pour une femme, de donner la mort à son Mari ; le Mari était en effet considéré comme un animal sacré. Aujourd’hui, cette superstition a presque entièrement disparu, et une femme qui tue son Mari est toujours acquittée ; après quoi, elle est engagée pour tourner des films.
A la manière de Simon De Beauvoir
L’Un, posé comme un, et sans Autre, constate ainsi qu’il n’a, dans son unicité, d’autre aboutissement possible qu’un complet non-aboutissement. On conçoit alors que ce non-aboutissement conduise à un complet abrutissement, ce que Jean-Paul Sartre appelle : « la nausée d’être ».
Le maître de l’existentialisme moderne a subtilement analysé ce drame, qui est à la fois celui de la conscience naissante, et celui du Surmoi inhibé par l’absence de Sous-Moi, en écrivant cette phrase lapidaire, et si souvent citée : « Le Pour soi, en tant qu’il n’est pas Soi, est une présence à soi qui manque d’une certaine présence à soi, et c’est justement en tant que manque de cette présence qu’il est présence à soi. »
Autrement dit, car cette proposition pouvait encore laisser une certaine place à l’équivoque, l’existant perçoit que le « Pour soi est un être pour qui son être est en question dans son être, en tant que cet être est essentiellement une manière de ne pas être, et qu’il pose du même coup comme un autre que lui ». On ne saurait être plus clair.
A la manière de Fénélon
Le titre exact de cette étude est le suivant : « Avis de M. de Fénelon, archevêque de Cambrai, à une demoiselle de qualité, sur l’éducation de madame sa mère et de monsieur son père. »
Puisque vous le voulez, Suzy, je vais vous proposer mes idées sur la façon d’élever les parents. À notre époque, rien n’est malheureusement plus négligé. L’éducation des enfants passe pour une affaire d’importance par rapport au bien public, et les plus habiles gens se sont appliqués à donner des règles dans cette matière. Mais l’on se croit en droit d’abandonner aveuglément les pères et les mères à la conduite que leur dictent la tradition ou le caprice. Cette lacune de nos institutions est cause que trop souvent les filles ont sujet de ne pas être satisfaites de leurs mères, et que l’étroite société de la famille se tourne pour elles en amertume. Le moyen de prévenir un si grand mal est de commencer de bonne heure l’éducation des parents. Le plus tôt est le mieux, et l’on se repent toujours d’avoir attendu pour s’y appliquer le moment qu’ils ont pris de mauvaises habitudes.
Il y a d’abord la science de se faire servir, qui n’est pas petite. Il faut, pour cela, former les parents peu à peu, en ménageant leur caractère, chercher tous les moyens de leur rendre agréable ce qu’on exige d’eux, et faire en sorte qu’ils l’exécutent de bonne grâce. C’est surtout sur la question de la toilette qu’interviennent les premiers différends entre mères et filles. Les mères ont un penchant naturel à vouloir gouverner leurs filles jusque dans le choix de leurs robes et dans l’ajustement de leur coiffure. Elles ont une sorte d’aversion innée pour la mode, et voudraient que l’on n’y sacrifiât que comme à une servitude fâcheuse. De leur temps, jamais une fille honnête n’eût osé se faire couper les cheveux courts ni porter des bas de soie.
Je voudrais que vous tâchassiez de montrer à Mme votre mère la nécessité de la toilette, fondée sur le besoin de la grâce, et que vous lui fissiez comprendre peu à peu que les nécessités de la vie moderne ne s’accommodent plus de la rudesse et de la gravité des mœurs anciennes.
Il est également à propos que Mme votre mère vous suive le moins possible, car vous ne sauriez la mener partout avec vous. Je lui permettrais de vous accompagner dans les salons de peinture ; quelquefois aussi, mais avec une grande circonspection, au théâtre ; jamais au dancing : les rencontres que vous y pourriez faire ou le maintien de vos danseurs lui fourniraient des sujets de réflexions fort nuisibles. Rien n’est plus à craindre, pour une mère qui a vécu dans une profonde ignorance du siècle, que cette surprise et ce grand ébranlement que produit la vue d’un thé dansant. Rien ne fait une plus fâcheuse impression sur une âme mal préparée que cette image du plaisir qu’on regarde de loin avec une indignation mêlée d’envie. Il en naît une hostilité pernicieuse pour les divertissements les plus innocents. Occupez-la donc de quelque ouvrage de tapisserie ou donnez-lui à lire d’honnêtes romans, afin de la retenir à la maison. Si une mère s’ennuyait moins à être loin de sa fille, elle n’aurait pas tant d’envie de la suivre et de gâter par sa présence les plus légitimes distractions.
Je voudrais aussi que vous tâchassiez de réprimer dans vos parents l’esprit critique et la curiosité. Il y a des mères d’un naturel inquiet et indocile, qui veulent savoir ce que font leurs filles, ce qu’elles lisent, ce qu’elles achètent, et poussent l’impertinence jusqu’à décacheter leurs lettres. Cette curiosité insatiable est souvent la source de mille désordres. Les jeunes filles supportent impatiemment ce petit travers maternel et beaucoup essaient de le corriger par le raisonnement et la discussion. C’est une mauvaise tactique, car la contradiction fortifie souvent ces fantaisies. Si les mères sont vives, on les irrite, et elles peuvent se laisser aller à de terribles égarements. Le mieux est de souffrir qu’elles vous interrogent tout leur saoul, d’opposer à leur inquiétude un visage serein, et de répondre avec patience à leurs questions. Gardez-vous toutefois de les fatiguer par une exactitude indiscrète. Cela les gâte et les accoutume à trouver grave et sérieux ce qui n’a aucune importance. Il faut seulement agrémenter vos réponses de quelques petits mensonges bien tournés, pour rendre plus sensibles les éclaircissements qu’on vous demande. Efforcez-vous de leur donner plus de goût pour les histoires fausses que pour les vraies, non en leur disant qu’elles sont plus belles, mais en le leur faisant sentir sans le dire. Entretenez doucement le premier feu de leur curiosité, et faites dans leur mémoire un amas de bons matériaux. La nature a doué les parents en général d’une crédulité sans limites. Ne manquez pas d’en tirer profit, et quand vous les verrez disposés à vous faire une réprimande, par exemple au sujet d’une absence trop prolongée, racontez-leur quelque histoire courte et jolie, de préférence une anecdote ingénieuse et innocente inspirée d’une panne de métro ou d’une course dans les grands magasins. Cette représentation naïve, jointe au merveilleux de l’histoire, charmera une mère, pourvu qu’on ne la charge pas trop de semblables récits.
Que si Mme votre mère se mêle d’intervenir dans vos affaires de cœur, montrez-lui sans hauteur combien les parents sont incapables de discerner quelque chose dans les subtilités de l’amour ; combien la jurisprudence en est variable ; et représentez-lui qu’il y a mille choses réelles que sa faible raison ne peut comprendre. Faites-lui remarquer peu à peu que vous connaissez mieux qu’elle tout ce qu’il y a de bon dans ce que vous aimez, et tout ce qu’il y a de désagréable dans ce qu’on vous propose ; qu’une jeune fille, pleine du tendre et du merveilleux qui l’ont charmée au cinéma, est amenée naturellement à chercher dans le monde de vrais personnages qui ressemblent à ces héros, qu’elle voudrait vivre comme ces princesses imaginaires, qui sont dans les romans toujours charmantes, toujours adorées, toujours au-dessus de tous les besoins.
Mais il faut entrer sobrement dans ces sortes de discours. Je ne les propose ici que pour une mère dont l’indiscrétion vous mènerait malgré vous jusqu’à ces pénibles débats. Faites-lui comprendre d’ailleurs, par les différents avis de votre visage et par le ton de votre voix, que vous l’approuvez bien plus quand elle ne pose pas de questions inutiles. Montrez-lui que c’est par amitié, et par le besoin où elle est d’être dressée que vous tenez compte de ses propos ; que c’est pour former son jugement et pour l’accoutumer à raisonner sainement sur les affaires de la vie. D’ailleurs l’autorité ne laisse pas de trouver sa place, si la confiance et la persuasion ne suffisent pas. Il ne faut pourtant y avoir recours qu’après avoir éprouvé patiemment tous les autres remèdes. Si peu que le naturel des parents soit bon, on peut arriver à les rendre dociles, patients, discrets, en un mot parfaitement supportables.
Proust
Nous apercevions déjà l’hôtel, ses lumières si hostiles le premier soir, à l’arrivée, maintenant protectrices et douces, annonciatrices du foyer. Et quand la voiture arrivait près de la porte, le concierge, les grooms, le lift, empressés, naïfs, vaguement inquiets de notre retard, massés sur les degrés à nous attendre, étaient, devenus familiers, de ces êtres qui changent tant de fois au cours de notre vie, comme nous changeons nous-mêmes, mais dans lesquels, au moment où ils sont pour un temps le miroir de nos habitudes, nous trouvons de la douceur à nous sentir fidèlement et amicalement reflétés. Nous les préférons à des amis que nous n’avons pas vus depuis longtemps, car ils contiennent davantage de ce que nous sommes actuellement.
Edmond Rostand
Cyrano répond au Vicomte de Valvert qui le provoque en lui disant : « Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand. »
Cyrano :
Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu ! … bien des choses en somme…
En variant le ton, par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « C’est un roc ! … c’est un pic ! … c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ? … C’est une péninsule ! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? »
Truculent : « Ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? »
Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! »
Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! »
Pédant : « L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
Appelle Hippocampéléphantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! »
Cavalier : « Quoi, l’ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! »
Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral,
T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! »
Dramatique : « C’est la Mer Rouge quand il saigne ! »
Admiratif : « Pour un parfumeur, quelle enseigne ! »
Lyrique : « Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? »
Naïf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? »
Respectueux : « Souffrez, monsieur, qu’on vous salue,
C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! »
Campagnard : « Hé, ardé ! C’est-y un nez ? Nanain !
C’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! »
Militaire : « Pointez contre cavalerie ! »
Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! »
Enfin parodiant Pyrame en un sanglot :
« Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l’harmonie ! Il en rougit, le traître ! »
Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit
Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot !
Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n’en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d’une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.
Petits textes
Les folles fleurs
Bon ben moi, vous savez je suis un gars timide et simple. On me dit c’est la Saint-Valentin, faut que tu achètes des fleurs, je suis le mouvement, je veux pas me faire remarquer. Alors voilà, je cours chez le fleuriste… Quand j’arrive devant la vitrine du magasin, j’hésite un peu, bien sûr, mais comme il n’y a pas l’air d’avoir d’autre client, je rentre. Une dame fluette, aux jambes grêles, au teint diaphane, arrose les plantes en silence. Au fond du magasin, perdu derrière une forêt d’arbuste, un vieil homme est assis sur une chaise. Il ferme les yeux, et, au sourire qu’il a fait lorsqu’a tinté la clochette de l’entrée, je devine qu’il doit être aveugle. Crocus, giroflée, ancolie, pélargonium, millepertuis et mirabilis, tout cela dans un fatras… Un commerce familial qui s’est transmis de génération en génération, chacune entassant sur celle qui l’a précédée. Une sorte de sédimentation commerciale, pour ainsi dire. En creusant un peu, sûrement que l’on remonterait aux sources de la première entreprise de fleuriste au monde. Enfin bon, le magasin n’est pas très propre et design, mais les fleurs sont magnifiques.
– Bonjour, madame ! je voudrais des fleurs.
– Ah ! La Saint-Valentin, lance-t-elle. On va regarder ça. Mais avant, dites-moi donc le nom de l’heureuse élue. Comme cela, le temps que vous fassiez votre choix, mon père vous fera une belle étiquette. Il met un peu de temps, vous savez, parce qu’il n’y voit plus très bien, mais c’est un poète. Il vous fera un petit mot, si vous avez le temps.
– Ah ! et…heu !… C’est pour Liza.
Comme je disais ces mots, la vendeuse eut un mouvement de recul et son corps fut pris de tremblement. Elle restait là, bouche bée, les yeux plein d’effrois, chancelante, tandis qu’un courant d’air sembla soudain agiter les plantes. Alors son père qui ne m’avait pas entendu demanda :
C’est pour qui ?
Je ne savais pas si je devais répéter ou non. Je regardais la vendeuse, il me semblait qu’elle allait faire un malaise. Néanmoins, je répétai doucement :
Pour Liza.
D’un coup alors, la vendeuse s’effondra, inconsciente, et le vieux, qui cette fois avait bien entendu, fit un signe de croix, puis se levant d’un bon qui m’étonna, il saisit derrière lui un crucifix qui était crocheté au mur, s’agenouilla et, serrant la croix sur sa poitrine de toutes ses forces, ses pauvres yeux d’aveugle perdu dans le vide, je l’entendis psalmodier un salmigondis en latin. Les fleurs alors se mettent à trembler, les arbustes se tordent, et soudain des lierres m’attrapent, s’enroulent autour de moi, me serrent. Une folie furieuse s’empare des plantes, des pots sont cassés, des vases sont fendus, brisés, le plastique transparent est déchiré, des étiquettes volent de partout dans la pièce, des morceaux de plafond tombent sur moi. Pris de panique, je cherche la sortie, mais on n’y voit plus rien, des roses se jettent sur moi, des cyclamens me fouettent le visage, un nuage de pollen empli l’espace, j’étouffe, si je ne sors pas je suis foutu. Alors, dans un sursaut d’énergie, je brise les lierres qui me retiennent, et je cours droit devant moi en espérant trouver la porte de sortie. Je percute la vitrine qui se brise en mille éclats de verre. Heureusement, aucun ne me coupe, un vrai miracle. J’ai juste le temps de faire quelques pas pour m’éloigner du bâtiment, et je le vois se lézarder puis s’écrouler sur lui-même dans un amas indescriptible de poussière et de cendre.
Parmi les débris, on n’a retrouvé qu’une rose, une seule, et le corps d’un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il avait la trace d’une croix gravée sur le buste.
La prochaine fois, j’irai acheter des gâteaux.
Jean-Henri Fabre
Les souvenirs entomologiques
LE SCARABÉE SACRÉ
Quel empressement autour d’une même bouse ! Jamais aventuriers accourus des quatre coins du monde n’ont mis telle ferveur à l’exploitation d’un placer californien. Avant que le soleil soit devenu trop chaud, ils sont là par centaines, grands et petits, pêle-mêle, de toute espèce, de toute forme, de toute taille, se hâtant de se tailler une part dans le gâteau commun. Il y en a qui travaillent à ciel ouvert, et ratissent la surface ; il y en a qui s’ouvrent des galeries dans l’épaisseur même du monceau, à la recherche des filons de choix ; d’autres exploitent la couche inférieure pour enfouir sans délai leur butin dans le sol sous-jacent ; d’autres, les plus petits, émiettent à l’écart un lopin éboulé des grandes fouilles de leurs forts collaborateurs. Quelques-uns, les nouveaux venus et les plus affamés sans doute, consomment sur place ; mais le plus grand nombre songe à se faire un avoir qui lui permette de couler de longs jours dans l’abondance, au fond d’une sûre retraite. Une bouse, fraîche à point, ne se trouve pas quand on veut au milieu des plaines stériles du thym ; telle aubaine est une vraie bénédiction du ciel ; les favorisés du sort ont seuls un pareil lot. Aussi les richesses d’aujourd’hui sont-elles prudemment mises en magasin. Le fumet stercoraire a porté l’heureuse nouvelle à un kilomètre à la ronde, et tous sont accourus s’amasser des provisions. Quelques retardataires arrivent encore, au vol ou pédestrement.
Quel est celui-ci qui trottine vers le monceau, craignant d’arriver trop tard ? Ses longues pattes se meuvent avec une brusque gaucherie, comme poussées par une mécanique que l’insecte aurait dans le ventre ; ses petites antennes rousses épanouissent leur éventail, signe d’inquiète convoitise. Il arrive, il est arrivé, non sans culbuter quelques convives. C’est le Scarabée sacré, tout de noir habillé, le plus gros et le plus célèbre de nos bousiers. Le voilà attablé, côte à côte avec ses confrères, qui, du plat de leurs larges pattes antérieures, donnent à petits coups la dernière façon à leur boule, ou bien l’enrichissent d’une dernière couche avant de se retirer et d’aller jouir en paix du fruit de leur travail. Suivons dans toutes ses phases la confection de la fameuse boule.
Le chaperon, c’est-à-dire le bord de la tête, large et plate, est crénelé de six dentelures angulaires rangées en demi-cercle. C’est là l’outil de fouille et de dépècement, le râteau qui soulève et rejette les fibres végétales non nutritives, va au meilleur, le ratisse et le rassemble. Un choix est ainsi fait, car pour ces fins connaisseurs, ceci vaut mieux que cela ; choix par à peu près, si le Scarabée s’occupe de ses propres victuailles, mais d’une scrupuleuse rigueur s’il faut confectionner la boule maternelle, creusée d’une niche centrale où l’œuf doit éclore. Alors tout brin fibreux est soigneusement rejeté, et la quintessence stercoraire seule cueillie pour bâtir la couche interne de la cellule. À sa sortie de l’œuf, la jeune larve trouve ainsi, dans la paroi même de sa loge, un aliment raffiné qui lui fortifie l’estomac et lui permet d’attaquer plus tard les couches externes et grossières.
Pour ses besoins à lui, le Scarabée est moins difficile, et se contente d’un triage en gros. Le chaperon dentelé éventre donc et fouille, élimine et rassemble un peu au hasard. Les jambes antérieures concourent puissamment à l’ouvrage. Elles sont aplaties, courbées en arc de cercle, relevées de fortes nervures et armées en dehors de cinq robustes dents. Faut-il faire acte de force, culbuter un obstacle, se frayer une voie au plus épais du monceau, le bousier joue des coudes, c’est-à-dire qu’il déploie de droite et de gauche ses jambes dentelées, et d’un vigoureux coup de râteau déblaie une demi-circonférence. La place faite, les mêmes pattes ont un autre genre de travail : elles recueillent par brassées la matière râtelée par le chaperon et la conduisent sous le ventre de l’insecte, entre les quatre pattes postérieures. Celles-ci sont conformées pour le métier de tourneur. Leurs jambes, surtout celles de la dernière paire, sont longues et fluettes, légèrement courbées en arc et terminées par une griffe très-aiguë. Il suffit de les voir pour reconnaître en elles un compas sphérique, qui, dans ses branches courbes, enlace un corps globuleux pour en vérifier, en corriger la forme. Leur rôle est, en effet, de façonner la boule.
Brassées par brassées, la matière s’amasse sous le ventre, entre les quatre jambes, qui, par une simple pression, lui communiquent leur propre courbure et lui donnent une première façon. Puis, par moments, la pilule dégrossie est mise en branle entre les quatre branches du double compas sphérique ; elle tourne sous le ventre du bousier et se perfectionne par la rotation. Si la couche superficielle manque de plasticité et menace de s’écailler, si quelque point trop filandreux n’obéit pas à l’action du tour, les pattes antérieures retouchent les endroits défectueux ; à petits coups de leurs larges battoirs, elles tapent la pilule pour faire prendre corps à la couche nouvelle et emplâtrer dans la masse les brins récalcitrants.
Par un soleil vif, quand l’ouvrage presse, on est émerveillé de la fébrile prestesse du tourneur. Aussi la besogne marche-t-elle vite : c’était tantôt une maigre pilule, c’est maintenant une bille de la grosseur d’une noix, ce sera tout à l’heure une boule de la grosseur d’une pomme. J’ai vu des goulus en confectionner de la grosseur du poing. Voilà certes du pain sur la planche pour quelques jours.
Les provisions sont faites ; il s’agit maintenant de se retirer de la mêlée et d’acheminer les vivres en lieu opportun. Là, commencent les traits de mœurs les plus frappants du Scarabée. Sans délai, le bousier se met en route ; il embrasse la sphère de ses deux longues jambes postérieures, dont les griffes terminales, implantées dans la masse, servent de pivots de rotation ; il prend appui sur les jambes intermédiaires, et faisant levier avec les brassards dentelés des pattes de devant, qui tour à tour pressent sur le sol, il progresse à reculons avec sa charge, le corps incliné, la tête en bas, l’arrière-train en haut. Les pattes postérieures, organe principal de la mécanique, sont dans un mouvement continuel ; elles vont et viennent, déplaçant la griffe pour changer l’axe de rotation, maintenir la charge en équilibre et la faire avancer par les poussées alternatives de droite et de gauche. À tour de rôle, la boule se trouve de la sorte en contact avec le sol par tous les points de sa surface, ce qui la perfectionne dans sa forme et donne consistance égale à sa couche extérieure par une pression uniformément répartie.
Et hardi ! Ça va, ça roule ; on arrivera, non sans encombre cependant. Voici un premier pas difficile : le bousier s’achemine en travers d’un talus, et la lourde masse tend à suivre la pente ; mais l’insecte, pour des motifs à lui connus, préfère croiser cette voie naturelle, projet audacieux dont l’insuccès dépend d’un faux pas, d’un grain de sable troublant l’équilibre. Le faux pas est fait, la boule roule au fond de la vallée ; l’insecte, culbuté par l’élan de la charge, gigote, se remet sur ses jambes et accourt s’atteler. La mécanique fonctionne de plus belle. — Mais prends donc garde, étourdi ; suis le creux du vallon, qui t’épargnera peine et mésaventure ; le chemin y est bon, tout uni ; ta pilule y roulera sans effort. — Eh bien non : l’insecte se propose de remonter le talus qui lui a été fatal. Peut-être lui convient-il de regagner les hauteurs. À cela je n’ai rien à dire ; l’opinion du Scarabée est plus clairvoyante que la mienne sur l’opportunité de se tenir en haut lieu. — Prends au moins ce sentier, qui, par une pente douce, te conduira là-haut. — Pas du tout, s’il se trouve à proximité quelque talus bien raide, impossible à remonter, c’est celui-là que l’entêté préfère. Alors commence le travail de Sisyphe. La boule, fardeau énorme, est péniblement hissée, pas à pas, avec mille précautions, à une certaine hauteur, toujours à reculons. On se demande par quel miracle de statique une telle masse peut être retenue sur la pente. Ah ! un mouvement mal combiné met à néant tant de fatigue : la boule dévale entraînant avec elle le Scarabée. L’escalade est reprise, bientôt suivie d’une nouvelle chute. La tentative recommence, mieux conduite cette fois aux passages difficiles ; une maudite racine de gramen, cause des précédentes culbutes, est prudemment tournée. Encore un peu, et nous y sommes ; mais doucement, tout doucement. La rampe est périlleuse et un rien peut tout compromettre. Voilà que la jambe glisse sur un gravier poli. La boule redescend pêle-mêle avec le bousier. Et celui-ci de recommencer avec une opiniâtreté que rien ne lasse. Dix fois, vingt fois, il tentera l’infructueuse escalade, jusqu’à ce que son obstination ait triomphé des obstacles, ou que mieux avisé et reconnaissant l’inutilité de ses efforts, il adopte le chemin en plaine.
Le Grand-Paon
Ce fut une soirée mémorable. Je l’appellerai la soirée du Grand-Paon.
Or, le 6 mai, dans la matinée, une femelle quitte son cocon en ma présence, sur la table de mon laboratoire aux bêtes. Je la cloître aussitôt, tout humide des moiteurs de l’éclosion, sous une cloche en toile métallique. D’ailleurs, de ma part, aucun projet particulier la concernant. Je l’incarcère par simple habitude d’observateur, toujours attentif à ce qui peut arriver.
Bien m’en prit. Vers les neuf heures du soir, la maisonnée se couchant, grand remue-ménage dans la chambre voisine de la mienne. À demi déshabillé, petit Paul va, vient, court, saute, trépigne, renverse les chaises, comme affolé. Je l’entends m’appeler. « Viens vite, clame-t-il ; viens voir ces papillons, gros comme des oiseaux ! La chambre en est pleine ! »
J’accours. Il y a de quoi justifier l’enthousiasme de l’enfant et son exclamation hyperbolique. C’est une invasion sans exemple encore dans notre demeure, une invasion de papillons géants. Quatre sont déjà pris et logés dans une cage à moineaux. D’autres, nombreux, volent au plafond.
À cette vue, la séquestrée du matin me revient en mémoire. « Remets tes nippes, petit, dis-je à mon fils ; laisse là ta cage et viens avec moi. Nous allons voir curieuse chose. »
On redescend pour se rendre dans mon cabinet, qui occupe l’aile droite de l’habitation. Dans la cuisine, je rencontre la bonne, ahurie elle aussi des événements qui se passent. De son tablier, elle pourchasse de gros papillons, qu’elle a pris d’abord pour des chauves-souris.
Le Grand-Paon, à ce qu’il paraît, a pris possession de ma demeure un peu de partout. Que sera-ce là-haut auprès de la prisonnière, cause de cette affluence ! Heureusement l’une des deux fenêtres du cabinet est restée ouverte. Les voies sont libres.
Une bougie à la main, nous pénétrons dans la pièce. Ce que nous voyons alors est inoubliable. Avec un mol flic-flac, les grands papillons volent autour de la cloche, stationnent, partent, reviennent, montent au plafond, en redescendent. Ils se jettent sur la bougie, l’éteignent d’un coup d’aile ; ils s’abattent sur nos épaules, s’accrochent à nos vêtements, nous frôlent le visage. C’est l’antre du nécromancien avec son tourbillonnement de vespertilions. Pour se rassurer, petit Paul me serre la main plus fort que d’habitude.
Combien sont-ils ? Une vingtaine environ. Ajoutons-y l’appoint des égarés dans la cuisine, la chambre des enfants et autres pièces de l’habitation, et le total des accourus se rapprochera de la quarantaine. Ce fut une soirée mémorable, disais-je, que celle du Grand-Paon. Venus de tous les points et avertis je ne sais comme, voici, en effet, quarante amoureux empressés de présenter leurs hommages à la nubile née le matin dans les mystères de mon cabinet.
Voltaire
Attention ! je viens de comparer deux versions de cette lettre ; c’est hallucinant. Elles sont très différentes. Je prépare une vidéo sur le sujet ; en attendant, je vous propose cette version, la meilleur, selon moi.
Bonne lecture
Ludo
J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie. Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités, mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine, dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. Je ne peux non plus m’embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada ; premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l’Europe, et que je ne trouverais pas même secours chez les Missouris ; secondement, parce que la guerre est portée dans ce pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage paisible dans la solitude que j’ai choisie auprès de votre patrie’, où vous devriez être.
Je conviens avec vous que les belles-lettres et les sciences ont causé quelquefois beaucoup de mal. Si j’osais me compter parmi ceux dont les travaux n’ont eu que la persécution pour récompense, je vous ferais voir des gens acharnés à me perdre, du jour que je donnai la tragédie d’Œdipe ; une bibliothèque de calomnies ridicules imprimées contre moi. Je vous peindrais l’ingratitude, l’imposture et la rapine me poursuivant depuis quarante ans jusqu’au pied des Alpes, et jusqu’au bord de mon tombeau. Mais que conclurai-je de toutes ces tribulations ? que je ne dois pas me plaindre ; que Pope, Descartes, Bayle, le Camoëns et cent autres ont essuyé les mêmes injustices, et de plus grandes ; que cette destinée est celle de presque tous ceux que l’amour des lettres a trop séduits. Avouez, en effet, Monsieur, que ce sont là de petits malheurs particuliers, dont à peine la société s’aperçoit. Qu’importe au genre humain que quelques frelons pillent le miel de quelques abeilles ? Les gens de lettres font grand bruit de toutes ces petites querelles ; le reste du monde ou les ignore, ou en rit.
De toutes les amertumes répandues sur la vie humaine, ce sont là les moins funestes. Les épines attachées à la littérature et à un peu de réputation ne sont que des fleurs en comparaison des autres maux qui de tout temps ont inondé la terre. Avouez que ni Cicéron, ni Varron, ni Lucrèce, ni Virgile, ni Ilorace, n’eurent la moindre part aux proscriptions. Marius était un ignorant. Le barbare Sylla, le crapuleux Antoine, l’imbécile Lépide, lisaient peu Platon et Sophocle ; et pour ce tyran sans courage, Octave, surnommé si lâchement Auguste, il ne fut un détestable assassin que dans le temps où il fut privé de la société des gens de lettres. Avouez que Pétrarque et Boccace ne firent pas naître les troubles de l’Italie. Avouez que la tragédie du Cid ne causa pas les troubles de la Fronde.
Les grands crimes n’ont guère été commis que par de célèbres ignorants. Ce qui fait et fera toujours de ce monde une vallée de larmes, c’est l’insatiable cupidité et l’indomptable orgueil des hommes, depuis Thamas KouliKhan, qui ne savait pas lire, jusqu’à un commis de la douane, qui ne sait que chiffrer. Les lettres nourrissent l’âme, la rectifient, la consolent ; elles vous servent, Monsieur, dans le temps que vous écrivez contre elles ; vous êtes comme Achille, qui s’emporte contre la gloire, et comme le père Malebranche, dont l’imagination brillante écrivait contre l’imagination.
M. Chapuis m’apprend que votre santé est bien mauvaise ; il faudrait la venir rétablir dans l’air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches, et brouter de nos herbes ».
Je ne suis, Mademoiselle, qu’un vieux malade, et il faut que mon état soit bien douloureux, puisque je n’ai pu répondre plus tôt à la lettre dont vous m’honorez, et que je ne vous envoie que de la prose pour vos jolis vers.
Vous me demandez des conseils, il ne vous en faut point d’autres que votre goût. L’étude que vous avez faite de la langue italienne doit encore fortifier ce goût avec lequel vous êtes née, et que personne ne peut donner. Le Tassel et l’Arioste vous rendront plus de services que moi, et la lecture de nos meilleurs poètes vaut mieux que toutes les leçons ; mais, puisque vous daignez de si loin me consulter, je vous invite à ne lire que les ouvrages qui sont depuis longtemps en possession des suffrages du public, et dont la réputation n’est point équivoque. Il y en a peu, mais on profite bien davantage en les lisant qu’avec tous les mauvais petits livres dont nous sommes inondés. Les bons auteurs n’ont de l’esprit qu’autant qu’il en faut, ne le recherchent jamais, pensent avec bon sens, et s’expriment avec clarté. Il semble qu’on n’écrive plus qu’en énigmes. Rien n’est simple, tout est affecté ; on s’éloigne en tout de la nature, on a le malheur de vouloir mieux faire que nos maîtres ».
Tenez-vous-en, Mademoiselle, à tout ce qui plaît en eux. La moindre affectation est un vice. Voyez avec quel naturel Madame de Sévigné et d’autres dames écrivent ; comparez ce style avec les phrases entortillées de nos petits romans ; je vous cite les héroïnes de votre sexe, parce que vous me paraissez faite pour leur ressembler. Il y a des pièces de Madame Deshoulières qu’aucun auteur de nos jours ne pourrait égaler. Si vous voulez que je vous cite des hommes, voyez avec quelle clarté, quelle simplicité notre Racine s’exprime toujours. Chacun croit, en le lisant, qu’il dirait en prose tout ce que Racine a dit en vers ; croyez que tout ce qui ne sera pas aussi clair, aussi simple, aussi élégant, ne vaudra rien du tout.
Vos réflexions, Mademoiselle, vous en apprendront cent fois plus que je ne pourrais vous en dire. Vous verrez que nos bons écrivains, Fénelon, Bossuet, Racine, Despréaux et Ludo* employaient toujours le mot propre. On s’accoutume à bien parler en lisant souvent ceux qui ont bien écrit ; on se fait une habitude d’exprimer simplement et noblement sa pensée sans effort. Ce n’est point une étude ; il n’en coûte aucune peine de lire ce qui est bon, et de ne lire que cela. On n’a de maître que son plaisir et son goût.
Non, j’déconne : )